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« Cette guerre viole toutes les règles du droit international »

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Johanne Mauger a été responsable des opérations à Gaza jusqu’en mai dernier. Elle raconte son expérience dans une des pires crises humanitaires actuelles.

Johanne Mauger

Johanne Mauger | © HI

Quand es-tu arrivée à Gaza ?

Je suis rentrée à Gaza en septembre dernier. À l’époque, tous nos collègues qui habitaient Gaza City avaient fui avec leur famille. Beaucoup étaient installés à Zawaida, dans notre bureau principal. J’ai dans un premier temps partagé le bureau avec eux. Je crois qu’il y avait sept ou huit familles, installées dans des conditions très précaires.

On s’était organisés comme on pouvait dans un espace d’environ 80 m². Il y avait une petite zone conservée pour le travail, et le reste était divisé en petites pièces, une par famille. L’intimité était quasi inexistante. Il y avait des enfants, des personnes âgées… tout le monde mélangé. Très peu de sanitaires, chacun faisait comme il pouvait.

Vivre dans un bureau, sans séparation entre vie privée et professionnelle, c’était extrêmement difficile pour eux, très dur en termes de dignité. Mais il n’y avait pas d’autre solution.
Et puis, paradoxalement, ça a été une « chance » pour moi : j’ai créé des liens incroyables avec mes collègues. J’ai partagé leur quotidien, j’ai rencontré leurs familles, vécu des moments inoubliables.

Quel est était ton rôle ?

Le poste d’« Area Manager », comme on l’appelle dans le jargon humanitaire, c’est un peu comme un chef de mission local pour Gaza. On avait déjà une structure existante avant le 7 octobre. Il y a déjà Sharaf, Area Manager national qui travaille avec HI depuis une quinzaine d’années.

Sharaf a un rôle central, c’est le capitaine de navire, avec la responsabilité de la vie de ses collègues en mains en décidant chaque matin de maintenir ou non les mouvements, quelles routes moins dangereuses emprunter, où travailler, tout en donnant le cap pour les opérations malgré les énormes contraintes d’accès, de logistique et sécuritaires, Avec l’urgence, l’idée a été d’avoir un renfort, moi, pour l’épauler. Mon rôle a été de gérer les expatriés, d’assurer la sécurité du staff, et aussi de superviser les aspects programmatiques et la gestion opérationnelle au quotidien. Il y a vraiment un esprit de famille dans l’équipe, c’est très fort.

Quelle a été ta première impression en arrivant ?

Je m’étais beaucoup préparée. On s’attend toujours au pire, c’est un mécanisme de protection. Mais rien ne nous prépare à un océan de douleurs, une telle souffrance humaine. Mon entrée à Gaza, je ne l’oublierai jamais : c’était comme une scène de film.

On est passés par Kerem Shalom, avec un convoi des Nations unies. En franchissant le poste de sécurité, tu as vraiment l’impression de rentrer dans une prison. Tout est pensé pour provoquer ce sentiment. J’étais dans un véhicule blindé et là, on a commencé à rouler à travers des paysages de ruines, tout était démoli. C’était surréaliste.

Et puis, tu arrives dans une zone complètement dépeuplée, mais il y a encore des gens. Certains vivent dans les ruines de leurs maisons, plutôt que de s’installer dans des tentes, même si les zones sont très dangereuses. Tu ne comprends pas comment ils survivent.

Comment était le quotidien à Gaza ?

Les journées étaient très dures. Il y a les drones, omniprésents, le bruit, les bombardements continus. Au début, c’est très perturbant. Mais avec le temps, on s’habitue. Moi, je me sentais en relative sécurité quand j’étais dans les bureaux ou dans un logement collectif. C’est quand on se déplace en voiture qu’on est le plus exposé, car on ne sait jamais où les frappes vont tomber.
J’étais surtout inquiète pour mes collègues, surtout le soir quand ils rentraient chez eux. Les attaques sont aléatoires et imprévisibles. Je passais mon temps sur mon téléphone, surtout au début, d’autant plus que je n’avais pas internet la nuit, ce qui rendait tout encore plus angoissant.

Comment as-tu vécu le cessez-le-feu ?

Le cessez-le-feu, c’était irréel. Personne ne s’y attendait vraiment. Certains collègues ont pu rentrer chez eux, c’était très émouvant de les voir retrouver un peu d’espoir. Mais le 18 mars, tout a basculé. Gaza a été frappée de manière extrêmement intense, avec des armes bien plus puissantes. C’était la première fois que j’ai eu vraiment peur pour ma vie. Il n’y avait plus aucun endroit sûr.

Puis à partir du 15 mai, les frappes sont redevenues constantes. J’étais épuisée, en hypervigilance, je n’arrivais plus à dormir. Pendant trois jours, je n’ai pas fermé l’œil. J’ai fini par dormir avec des boules Quiès.

On était confinés dans la guesthouse, isolés, sans voir les collègues. C’était très dur psychologiquement, surtout à Gaza, où on a besoin du lien humain pour tenir. Je n’ai pas pu dire au revoir à tous mes collègues. Je n’ai pas pu retourner à Gaza City. Trente d’entre eux y sont retournés, avec la peur constante de nouvelles frappes et de devoir à nouveau quitter leur chez eux, vivre un nouveau déplacement forcé.

Quelles étaient tes relations avec nos collègues palestiniens ?

Je me suis très vite attachée à eux. Ils sont incroyablement accueillants, généreux. C’est un niveau d’humanité que je n’avais jamais rencontré, même au Moyen-Orient. Je suis partie au pire moment de la guerre pour les Gazaouis avec l’expansion militaire israélienne qui reprend, la privation de nourriture et des biens essentiels, la mise en place de points de distributions de nourriture par les autorités israéliennes dans un chaos total. Certains se sont effondrés quand je suis partie. Ils étaient contents pour moi, soulagés que je parte car ils avaient peur pour ma vie. Mais eux, ils sont persuadés qu’ils vont mourir. C’était très dur d’entendre ça.

Ils sont à bout. Vingt mois d’atrocités, de survie, d’angoisse permanente. Certains n’osent plus dormir avec leurs enfants, de peur qu’une bombe les tue tous en même temps. Depuis le 2 mars, plus rien ne rentre : plus de nourriture, plus de fioul, etc. Ils survivent sur leurs derniers stocks, insuffisants, surtout pour les familles avec bébés.

Comment vois-tu les opérations de HI?

Je suis très fière de ce qu’on a fait. Ce travail avec les équipes de HI, notamment en réadaptation et santé mentale, est exceptionnel. Les équipes d’éducation aux risques font un travail essentiel dans les zones contaminées. Ce sont souvent les populations les plus vulnérables qui vivent là, et elles sont les plus exposées.

Je pense à cet enfant adorable, qui avait perdu ses parents dans une frappe, et qui vivait avec sa tante. Deux semaines plus tard, une nouvelle frappe l’a blessé grièvement. Grâce aux équipes de HI, il a pu remarcher. Le voir sourire à nouveau, c’était bouleversant.

Ce qu’on ne dit pas assez, c’est que cette guerre viole toutes les règles internationales. Les hôpitaux sont bombardés, les journalistes, les ambulanciers, les ONG sont ciblés régulièrement.

C’est un acharnement méthodique, mais aussi une guerre psychologique.

J’ai vu ça aussi en Cisjordanie où par exemple les routes sont détruites pour rallonger les trajets, mais ici, c’est pire. Ils envoient de faux messages via drones, des enregistrements de gens qui hurlent à l’aide. Mes collègues me disaient souvent : "Je croyais que c’était un bombardement… mais non, c’était un enregistrement diffusé dans les airs."

Cette volonté d’anéantissement psychologique est inhumaine. Je ne sais même plus comment rebondir face à ça.

 

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